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Op-ed de Inger Anderson Directrice executive du PNUE: "Inverser l’effet domino de la destruction de la nature"

Sciences
vendredi 04 juin 2021
19:58
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Op-ed de Inger Anderson Directrice executive du PNUE: "Inverser l’effet domino de la destruction de la nature"
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Depuis le début de la révolution industrielle, la relation de l'humanité avec la nature a été célébrée comme un triomphe. Grâce à l'innovation, nous illuminons les pays, construisons des industries et voyageons outre-mer à une vitesse sans précédent. Grâce aux progrès de l’agriculture, un nombre record de personnes sont nourries, et dans certaines régions du monde, l’espérance de vie a plus que doublé.

De plus en plus, cependant, cela ressemble à une victoire à la Pyrrhus. La combustion de combustibles fossiles émet des gaz à effet de serre, déclenchant une réaction en chaîne qui se traduit par des changements climatiques, des niveaux toxiques de pollution atmosphérique et des phénomènes météorologiques extrêmes tels que des inondations, des canicules, des sécheresses et des incendies incontrôlés. La destruction rapide des habitats de la vie sauvage en raison de la déforestation et de l’agriculture industrielle est également responsable de l'émergence de trois nouvelles maladies infectieuses sur quatre. Il s’agit notamment de virus zoonotiques tels que la grippe aviaire, le SRAS, le MERS, le virus Ebola et probablement la COVID-19, contre laquelle le monde continue de lutter plus d'un an après son apparition.

C’est l’effet domino de la dégradation de l'environnement. Opter uniquement pour la conservation ne nous mènera pas à l’étape souhaitée. Les huit principaux types d'écosystèmes : terres agricoles, forêts, eaux douces, océans, montagnes, prairies et savanes, tourbières et villes, se dégradent tous. Et pareil à des dominos, la détérioration d'un écosystème entraîne un effet en cascade sur les autres écosystèmes.

Au moins deux milliards de personnes dépendent directement des terres cultivées et des pâturages. Pourtant, un tiers des terres sont fortement dégradées en raison de l’utilisation de pesticides, d’engrais et de la création de paysages de monocultures. Cette situation accentue à son tour l’insécurité alimentaire et entraîne la dégradation d’autres écosystèmes pour la création de nouvelles terres agricoles. L’expansion agricole et l’exploitation forestière ont entraîné une réduction de 178 millions d’hectares de la superficie forestière dans le monde au cours des trois dernières décennies, soit une superficie équivalente à cinq fois celle de l’Allemagne.

Au cours des cinquante dernières années, la consommation d’eau douce a augmenté d’environ 600 % et quatre milliards de personnes sont régulièrement confrontées au manque d’eau. Les océans et la vie qu’ils abritent fournissent jusqu’à 80 % de l'oxygène de l’atmosphère, mais les stocks de poissons s’effondrent rapidement, la pollution par les plastiques en augmentation intoxique les océans, tandis que le blanchiment des coraux et l’acidification des océans pourraient faire disparaître l’ensemble des récifs coralliens du monde d'ici à 2100.

Des schémas de dégradation similaires au sein d’autres écosystèmes fragilisent de plus en plus de nos protections environnementales, ce qui nous rend plus vulnérables à la triple menace des changements climatiques, de la perte du monde naturel, de la pollution et des déchets.

Il est de notre devoir d’investir dans la restauration des écosystèmes : la reforestation, le boisement, le ré-ensauvagement et l’agriculture régénérative, entre autres. C’est essentiel, comme l’a affirmé le secrétaire général des Nations unies António Guterres, pour faire enfin la paix avec la nature.

La restauration à grande échelle est possible, comme le montre un rapport conjoint publié par le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) et l’Organisation des Nations unies pour 

l’alimentation et l’agriculture (FAO). Les pays doivent tenir leurs engagements de restaurer un milliard d’hectares de terres dégradées et prendre des engagements similaires pour les zones marines et côtières. Les gouvernements et les acteurs du secteur privé doivent multiplier par trois les investissements annuels dans les solutions fondées sur la nature à l’horizon 2030 et les multiplier par quatre d’ici à 2050 par rapport aux investissements actuels de 133 milliards de dollars des États-Unis.

Au-delà des ressources physiques, les sentiments et les mentalités doivent changer. Le jeu de l’humanité ne peut avoir pour finalité de l’emporter sur la nature. Un effet domino positif pour la nature implique de prendre conscience que nous en faisons tous partie, d’abandonner les actions qui entraînent la destruction de notre planète en cascade et opter pour une cascade d’actions positives qui permettent à la nature et aux générations futures de prospérer.

Alors qu’une grande partie du monde subit l’effet domino négatif des ruptures écologiques, dans certains cas, de nouvelles règles ont déjà été adoptées. Qu’il s’agisse de la plantation réussie de 200 millions d'arbres divers au Sahel ou de la multiplication par deux de la couverture forestière au Costa Rica depuis les années 1980, du programme d’agriculture naturelle à budget nul et à faible utilisation de pesticides dans l’État indien de l’Andhra Pradesh ou de la restauration du lagon côtier d’eau saumâtre de Chilika sur la côte est du pays, ou encore d’innovations telles que les protéines alternatives (viande cultivée en laboratoire), les investissements dans la restauration réduisent la pauvreté, la faim et contribuent à la santé humaine, à la paix et à la sécurité.

En cette Journée mondiale de l'environnement (5 juin), des dirigeants du monde entier, des scientifiques, des membres de la société civile, des populations autochtones et des chefs de communautés exigent une accélération de la restauration des écosystèmes. De nouvelles règles du jeu devront être écrites en octobre et novembre lors de la conférence des Nations unies sur la biodiversité à Kunming, en Chine, et lors de la COP26 à Glasgow, au Royaume-Uni. Là, les gouvernements de tous les continents se réuniront pour forger un consensus et déclarer des engagements sur la manière de prévenir, de stopper et d’inverser la dégradation des écosystèmes.

Oui, les investissements requis sont importants. Mais le coût de l’inaction serait dix fois plus élevé. Si elle est suivie sur le plan internationale, la prochaine Décennie pour la restauration des écosystèmes restera dans les mémoires comme un tournant historique dans la manière dont nous nous engageons avec la nature et dont nous nous attaquons aux menaces environnementales auxquelles nous sommes confrontés.

Inger Andersen est la directrice exécutive du programme des Nations unies pour l'environnement.